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12 | TOUT découvrir – Le récit de Jérôme
- "Bon, alors, maintenant je t'écoute !"
Adrien vient à peine de quitter la maison que Julien se tourne vers moi pour connaître le fin mot de l'histoire. Je tente d'esquiver : je lui souris, hausse une épaule et un sourcil incrédule.
- "Que veux-tu que je te dise ?"
Il me sourit largement en retour pour marquer que, décidément, on ne la lui fait pas mais ce bref répit m'a permis de rassembler en hâte mes souvenirs.
- "C'était en deux mille six, au printemps, fin mars début avril je dirais. J'allais mieux, bien même. Ma vie avait retrouvé une sorte d'équilibre entre mon boulot, la garde alternée de mes fils et mes visites aux Chênaies où il m'arrivait de croiser Adrien, grand jeune homme brun et svelte, par exemple quand il montait à cheval. Il s'était toujours montré cordial avec moi, mais sans plus s'attarder.
Je me souviens : je rentrais de faire les courses, chargé de sacs et je le rencontre venant vers moi, dans la rue, au pied de chez moi. Tout sourire. Je m'étonne, il me répond sans faux semblant :
- "Je t'attendais. Tu m'offres un verre ? ... Je vais t'aider."
Aussitôt, il s'empare de quelques uns des sacs que je porte et m'invite à le précéder d'un coup de menton, toujours souriant et civil. Ce n'était pas le lieu d'engager une discussion alors j'obtempère et il me suit. Je dépose mes sacs sur le palier pour ouvrir ma porte, j'allume le plafonnier du vestibule, je reprends mes sacs, je referme du pied la porte derrière nous. Adrien, les bras pourtant chargés lui aussi, se presse alors étroitement contre moi, pesant dans mon dos, la tête dans mon cou ; sa bouche murmure à mon oreille.
- "Je suis venu pour baiser avec toi."
Il reste quelques secondes ainsi serré contre moi. Moi, je suis sidéré. Je le "savais" gay, sans doute l'avais-tu évoqué avec moi, Julien, mais de là à imaginer ... Il m'embrasse fugitivement dans le cou et je frémis sous ce bisou discret et délicat comme une prière. Il reprend à voix haute sur un ton tout ce qu'il y a de plus ordinaire:
- "Je t'aide d'abord à ranger tout ça."
Très à l'aise, il dépose devant moi ses colis sur la table de la cuisine, se retourne rapidement vers moi aux mains toujours lourdement encombrées, encadre mes joues des deux siennes et m'embrasse. Un patin. Avec la langue. Puis, sans me laisser la moindre chance de me ressaisir, il libère mes bras des sacs qui rejoignent promptement les siens et revient à la charge, longuement, avec un entrain joyeux à défaut d'un grand savoir-faire ; ses bras entourent mon cou et il ondule du bassin contre le mien pour ne pas me laisser la moindre chance d'ignorer qu'il bande.
Comme un âne.
Il décolle nos lèvres, bascule son front pour l'appliquer au mien, baisse ses paupières et me glisse en confidence.
- "Je voudrais que tu me fasses tout découvrir, en grand."
C'est sans doute cet aveu qui déclenche tout chez moi ; j'entrevois tout ce que pourrait dissimuler son audace, si incroyable qu'elle force mon admiration. Elle me touche, moi qui ai été aveugle et sourd si longtemps, qui suis tout juste convalescent, de sa part à lui dont le père avec toi, Julien ... Vers qui, vers quel pédé identifié peut-il se tourner en toute confiance pour une telle initiation ? Une grande fierté m'envahit d'être celui sur qui il a jeté son dévolu, d'être utile à mon tour, moi qui dois tant aux Chênaies. Mes bras le ramènent à moi et je l'embrasse à mon tour, avec toute la douceur dont je suis capable.
Je lis dans ses yeux brillants à la fois son soulagement, sa gourmandise et son impatience de jeune homme plein de sève qui voit la vie se décider à s'ouvrir devant lui. Je me protège derrière un humour bon enfant.
- "Si tu veux TOUT découvrir, tu vas sècher les cours."
Il rit, triomphant.
- "J'ai tout prévu. J'ai dit à ma mère que je passais quelques jours chez Romain."
Il s'assombrit.
- "Et toi, tu bosses quand?"
- "J'entame un repos de trois jours et, sur la table, on a de quoi tenir un siège."
Il relève la tête vers moi avec un sourire de loup affamé.
- "Dépêchons-nous de tout ranger, j'ai hâte!"
Sitôt la porte du réfrigérateur refermée, la dernière boite remisée dans le placard, il est dans mes bras. De ses deux mains, doigts en étoile, il fourrage dans mes cheveux et ma barbe, les yeux clos, l'air absorbé, comme absent. Je glousse mais il proteste, très sérieux.
- "Chez toi, c'est très doux ..."
Avant d'ajouter :
- "Moi aussi, je suis poilu."
C'est au tour de ma main de s'arrondir pour venir englober sa joue déjà râpeuse de regain.
- "Poilu comme un homme ! Hmmm ! Moi, j'aime beaucoup, rassure-toi ... je ne suis pas le seul."
Et je l'embrasse. Je dis bien : "JE L'embrasse" car dés qu'il reprend l'initiative, je coupe court.
- "Prends aussi le temps d'écouter ce que je veux te dire, Adrien ! "
Mes lèvres reviennent avec précaution se poser sur les siennes, il frémit mais, patient, reste immobile et c'est ma langue qui, de sa pointe souple et agile, s'introduit, explore, coulisse, entraînant à sa suite la sienne qui s'aventure prudemment. Puis je me reprends avant de m'égarer, soulignant sa paupière d'un trait mouillé, traçant la courbe de sa narine, revenant à sa bouche pour repartir ponctuer sa pommette de points humides, frétiller dans son pavillon, balafrer son cou entre le doux et le déjà râpeux ...
Il soupire, soulève ses paupières sur des yeux chavirés et je ne peux me retenir de sourire : je pense que nous avons accordé nos violons. Mes mains enserrent sa taille et rebroussent ses vêtements tandis que je le renverse à demi sur la table libérée des paquets. Il rit, se démène comme pour m'échapper mais je fonds sur la peau claire ainsi dégagée et à peine commencé-je à l'embrasser goulûment qu'il cesse toute protestation et s'offre ; ses mains, qui se cripaient, se détendent et reviennent errer et se perdre dans ma tignasse bouclée.
C'est vrai qu'il est poilu ! Le poil très brun, dru, dense, en un mot : juvénile, forme une large auréole autour de son nombril sur ses jolis abdos tendus et se prolonge en filet vers le haut et son torse et, bien sûr, s'évase vers le bas.
Mais je me contente de ce ventre élastique dont je veux d'abord me délecter à loisir. Comme d'une mise en bouche. La cicatrice qu'y a laissé la ligature du cordon ombilical dessine un cercle presque parfait, quasi lisse et affleurant, si bien qu'aucune bouloche ou autre peau morte ne trouve de relief suffisant pour s'y accumuler. Il est cerné d'une frange de poils courts recourbés vers l'intérieur comme des cils et ma barbe, ma bouche s'en distraient avec allégresse.
Ce sont, à peu de choses près, les mêmes papouilles que celles que j'aimais faire à mes fils quand ils étaient petits ; pour autant, Adrien ne peut être dupe de mes intentions ; il ne s'agit pas de manifestations d'amour paternel à quoi mes garçons répondaient par des rires joyeux et des contorsions mais bien de caresses à vocation voluptueuse dont le but est, sans ambiguité, de le faire vibrer sensuellement.
Il sursaute, exprime tout l'air de ses poumons, cligne des paupières, bat l'air de ses membres en guise de protestation mais sans se soustraire à ce qui l'emporte et moi, je me vois grisé par le sentiment de payer ma dette, d'être utile, de transmettre, de construire pour partager un langage commun et conscient. Car entre deux hocquets, il trouve la force de souffler.
- "Tu vas voir, tout à l'heure ..."
Mais je ne demande que ça ! D'ailleurs, je m'y emploie.
Mais il se redresse, rabat ses vêtements et se raccroche à mon cou, ses yeux reviennent dans les miens, sérieux.
- "Allons poursuivre dans ta chambre si tu veux bien."
J'opine et lui souris. J'ai bien compris qu'il attendait de moi un rapport entre adultes qui couchent ouvertement et confortablement ensemble, pas une opportunité à la sauvette entre deux portes ou dans un lieu improbable, au risque de se faire surprendre, comme il en a déjà vraissemblablement connu.
Va pour la chambre, le lit, le grand jeu.
- "Viens !"
"All the love I miss loving, all the kiss I miss kissing / tout cet amour que j'ai manqué aimer, tous ces baisers que j'ai omis de donner - before I met you baby, never knew what I was missing /avant de te rencontrer chéri(), je n'ai jamais su ce que je ratais - all your love, pretty baby, that I got in store for you /tout ton amour, joli coeur, que j'avais en réserve pour toi" John Mayall and the Bluesbreakers : "all your love"
Amical72
amical072@gmail.com
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