Premier épisode
2 | L’attendre
Le récit de Toni
Je me suis lentement réveillé dans ce lit, couché sur le côté ; autour, le silence est étourdissant. La lumière me laisse à penser qu’Adrien est probablement déjà levé et sorti.
Or voilà que j’entends la porte s’ouvrir. Il s’approche avec précaution, s’allonge en travers du lit. Ses poils chatouillent mon dos, ses lèvres embrassent mon épaule, sa main, Brrr ! si fraîche, me fait frissonner, son bonjour est murmuré …
Je m’efforce de me maintenir dans cet entre-deux, de prolonger l’engourdissement du sommeil par un doux alanguissement. Sa main qui caresse mon flanc puis glisse sur ma fesse, m’y invite. Décaler imperceptiblement ma cuisse alors qu’il constelle ma peau de doux baisers piqués. Je m’écrase un peu plus sur le ventre dans un soupir.
Son doigt sur ma corolle sonne l’alerte, celle d’une urgence ! Je tends la main à tâtons, la sienne me guide et je lui transmets les étuis carrés. Froissements, déchirures.
Impatience !
J’ai basculé sur le ventre, cuisses remontées sous moi, le cul en offrande. Depuis la première fois, depuis les chiottes de la fac, ses mains sur moi, je lui suis voué. Comme à une évidence. C’est ça que je veux avec lui, qu’il me comble, me remplisse, me complète.
Il a percé un étui de gel, l’écrase sur mon coccyx et il coule dans ma raie que son gland parcourt pour s’en enduire. Et il se pose. C’est pour moi ! Je le grignote, chipote, l’aspire, l’appelle en moi. Il dévale une pente naturelle en souple glissade et moi, reculant sur mes bras tendus, j’ai repoussé mon cul pour l’avaler, le gainer, le masser, m’ajustant étroitement pour chemiser ce chaud piston qui m’anime souplement, me rythme.
Belle mécanique du désir.
Ses mains me parcourent, parviennent, par instants, à détourner mon attention avant qu’elle ne revienne se fixer sur mon plaisir qui monte, enfle, m’envahit. Une bulle éclate. Étourdissement ! Ses mains, ses bras m’enveloppent comme à l’accoutumée, parachute de ouate, ses doigts à sucer, son baiser mêlé, son regard bienveillant.
Pourtant, lui n’a pas joui ! Mais son sourire m’indique que ce n’est que partie remise.
Soit !
Plus tard, il m’a entraîné en terrasse. Ici, pas de réseau ! Alors j’ai écarté mon paréo sur le fauteuil orienté face au soleil et, les bras posés sur les accoudoirs, je m’offre nu à ses rayons et laisse la chaleur gagner toute ma peau. Lui, que j’aperçois du coin de l’œil, se concentre sur son journal, préoccupé par l’issue de l’élection présidentielle dont le second tour aura lieu dimanche prochain.
Bien sûr, j’ai voté. Sans grande conviction dans mon choix.
Mais dimanche prochain, j’irai encore voter. D’abord contre l’extrême droite, car la sombre figure du dictateur Salazar est encore présente dans l’histoire familiale avec l’exil de mes grands-parents ; mais aussi « pour » ce Macron, parce qu’il est un européen convaincu. Car je sais que c’est l’entrée du Portugal dans la CEE en 1986 qui a permis le retour de mon père au pays, l’installation de ma mère en France, le rapprochement de la famille émigrée et dispersée de par le monde, retrouvant un sentiment de paix et de sécurité. Pourtant, de nos jours, tant de personnes tremblent et se sentent menacées …
Il me semble qu’Adrien rêvasse et n’est plus vraiment à sa lecture, je l’interpelle.
- « Tu veux bien aller me commander un café, s’il te plaît Toni ? »
Je m’exécute. Je marche pieds nus avec précaution sur les pavés agressifs pour mes pieds à la plante trop tendre. Au retour, il a baissé son journal pour m’observer en souriant, beau ténébreux planqué derrière ses verres fumés. Quand je me penche pour déposer sa tasse devant lui, il murmure à mon oreille.
- « Ce joli serveur me plaît ! »
Le bout de ses doigts vient filer discrètement le long de mon bras quand je me redresse et il claironne un « merci Toni » qui ouvre à un double jeu et me pique dans mon désœuvrement. Sous son air absent, j’ai la conviction qu’il me mate. J’en prends le pari ! Alors, assis en pacha dans mon fauteuil, je décide d’en avoir le cœur net.
J’écarte largement les cuisses et ma cheville droite vient se poser sur mon genou gauche, ma jambe horizontale faisant écran. Je niche mon menton dans ma paume gauche, affectant de regarder ailleurs, tout en le gardant dans l’angle de mon champ de vision. J’ai coulé ma main droite entre mes cuisses pour envelopper mes couilles si douces depuis que je les rase et, quand je soulève discrètement mon pied gauche, le hissant sur la pointe de mes orteils, je suis certain qu’il a une vue plongeante sur mon majeur que j’insinue dans la broussaille de ma raie jusqu’à ma rosette pour l’effleurer ...
Banco ! J’ai capté son sourire.
Claquant des mains sur les accoudoirs, je m’arrache du siège et m’approche de lui en roulant des épaules. Je me plie brusquement en deux pour lui glisser à l’oreille :
- « Ce beau mec poilu qui me mate derrière ses verres miroir me met le feu ! Retrouve-moi dans les toilettes »
Je me retourne, chausse mes tongs et jette ma foutah en trophée sur mon épaule. Je me dirige vers le petit édifice à pas lents et en développant particulièrement le déroulement du pied jusqu’à me hausser sur les orteils, ce basculement me faisant alternativement contracter le mollet et le fessier. Car j’ai ENVIE qu’il me regarde, je SENS qu’il me regarde et ses yeux sont une caresse.
Je pousse les portes battantes, j’entre et je l’attends. Encore une fois, je songe à notre rencontre à la fac, je la rejoue : il va me rejoindre … le miracle se reproduire et …
Je l’attendrai aussi longtemps que nécessaire. Je repère chaque élément de ce petit espace, les portes, les miroirs, les angles morts. Il devra entrer pour me voir. J’attends.
Des pas s’approchent … Une ombre passe à l’extérieur. Je reste tapi, le cœur battant.
Elle s’éloigne. Déception.
Il ne peut pas ne pas venir, au moins pour vérifier. L’absence devient dense, je renoue avec une inquiétude enfantine dans un emballement du cœur : est-ce que j’existe encore pour lui quand je disparais de sa vue ?
Il y a une aridité dans l’attente, il ne s’y passe rien d’autre qu’un étirement du temps qui dessèche et mon impatience me parait, un instant, une simple vanité.
Des pas qui hésitent, je sursaute. Tension. Les yeux scrutent le miroir, prêt à baisser la tête sur mes mains si ce n’est pas … La porte geint.
Lui !
Je l’ai attiré à moi, précipitamment. Je m’écrase lourdement contre la porte de la cabine pour la bloquer de l’intérieur, nous protéger. Chaque point de contact qui nous réunit me réchauffe, me ranime et nos langues se nouent, rétablissent un flux qui s’apaise en reprenant son cours habituel. Je respire.
La porte couine … puis bat : tac, tac, tac.
Tout se fige, immobile, suspendu, en alerte.
Claquements de tuyauterie, éclaboussures d’eau, raclement de semelles sableuses, cliquetis du rappel des portes. Parti ! Ouf !
Il a raison, sortons ! Nous serions ridiculisés si nous étions surpris ainsi, cachés dans les cabinets, en adolescents honteux et gauches. Salis ! Ça ferait de nous des objets tout désignés aux moqueries condescendantes.
Alors que nous marchons maintenant de front en pleine lumière.
Et là, l’impression que s’impose une évidence, le « Good As You » qui développe l’acronyme GAY, ce « on vous vaut bien ! » asséné avec la force d’une certitude, l’assurance qui se joue de tous les sarcasmes, s’élève contre tous les anathèmes.
Sa main chevauche mon épaule en pince. Ce n’est pas le geste qui enlace mais celui, ferme, qui assure d’une loyauté.
- « Je suis heureux que tu sois là, à mes côtés, Toni ! »
Pourtant, en m’invitant aussitôt du geste à rejoindre la terrasse voisine, son « allons déjeuner » rompt prématurément un charme. Quelque chose d’essentiel était sur le point de se formuler et il a malencontreusement coupé court.
Et il se trompe ! Je le sais bien ; je suis un étudiant sans le sou, je ne dois qu’à ses largesses d’être ici à ses côtés et j’y dépends de lui. Mais, dans le reste de ma vie, je retrouve la frugalité qui correspond à mes moyens et, oui, je m’en accommode, sans calcul.
Pourtant, même si je cède au bonheur de l’accompagner à cet instant, de partager le repas avec lui, je garde le sentiment d’avoir raté l’occasion de dénouer quelque chose qui me retient encore.
Car qui suis-je vraiment pour lui ? Simplement une agréable compagnie ou … ?
*Le mot « Gay » désigne aujourd’hui les homosexuels dans leur ensemble, il est apparu dans cette acception au début du XXème siècle aux États-Unis. Certains voudraient y voir un acronyme : GAY pour « Good As You » Un éclairage
Amical72
amical072@gmail.com
Autres histoires de l'auteur :