Premier épisode
2 | Le culot
Récit de Tony
Adrien est parti travailler depuis longtemps et moi, je bade ! Je ne parviens pas à me résoudre à entreprendre sérieusement quoi que ce soit, comme si j’étais préoccupé.
C’est cela : je suis préoccupé. Il y a un nœud à mon mouchoir, quelque part, une chose que je devais dire ou faire et mon esprit garde trace de cette obligation … mais quelle est-elle ? Alors je passe tout en revue : l’école, l’agenda, ma mère, Adrien, les échéances, le labo …
Lumière ! Je tapote fébrilement sur mon écran de smartphone et retrouve son message avec ce lien : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1618
En un clic, la page du site officiel s’ouvre avec la Marianne dans l’angle supérieur : Quand, avec qui, où, comment ... conclure un Pacs ?
Je ferme les yeux et je respire, calmement, par le nez : gonfler le ventre, puis ouvrir la cage thoracique et enfin soulever les épaules en relevant lentement le menton. Retenir mon souffle et compter, une, deux, trois secondes puis souffler par la bouche en inversant la manœuvre jusqu’à creuser le ventre en remontant le diaphragme. Et, aussitôt, recommencer.
Faire souplement rouler ma tête, puis inverser le sens de rotation, garder les yeux clos et réfléchir. Ce n’est plus le regard bienveillant de ma mère qui m’encourage silencieusement à faire un pas de plus à la découverte du monde mais le sentiment d’une présence à mes côtés, d’un lien de moi à LUI et, réciproquement, de LUI à moi et, par-delà l’évocation de nos étreintes, s’impose leur essence, une complétude qui me renforce et, probablement, lui également.
Alors, d’évidence, je vais accepter sa proposition, et avec … « joie », pour formaliser mon engagement avec lui, en prendre acte devant témoin et ainsi poser des bases solides, une sorte d’appui pour m’aventurer en adulte autonome dans ce monde. Pour « être » mais aussi pour « créer », créer quelque chose avec LUI.
Une mue.
Au moment de pénétrer dans l’imposante citadelle moderne, je suis, un instant, intimidé par la certitude de braver un interdit. Pourtant je veux pouvoir aller jusqu’à lui, même ici où je n’ai pas été invité. Rien ne doit parvenir à me le rendre inaccessible. Les portes vitrées coulissantes se sont automatiquement refermées derrière moi et j’avance résolument vers la banque d’accueil en verre d’un vert laiteux d’où je vois émerger le sommet de deux têtes. La jeune femme qui relève le regard vers moi a les cheveux courts, un casque de standardiste et un charmant sourire.
- « Je voudrais parler à monsieur Lecourt, s’il vous plaît, c’est personnel. »
Aussitôt son regard s’est terni.
- « Vous avez rendez-vous, monsieur ... ? »
Je m’arme de mon plus joli sourire et je lui glisse sur le ton de la confidence.
- « C’est important. Dites-lui que Toni doit lui parler, s’il vous plaît. »
Elle hésite puis cède presqu’à regret, pianote sur son clavier. Je ne perçois qu’un murmure sans parvenir à saisir les mots qu’elle souffle dans son micro mais quand ses yeux reviennent vers moi, ils ont retrouvé leur amabilité.
En sortant de l’ascenseur, j’avance dans ce couloir en regardant, de droite et de gauche, les cartels sur les portes. La sienne est ouverte, je fais un pas à l’intérieur.
Il s’est appuyé au dossier de son fauteuil, a relevé les sourcils dans une simple interrogation sans marquer d’inquiétude ou de désapprobation et mon sourire ramène le sien sur ses lèvres. Il ne manifeste aucunement être incommodé par mon intrusion inattendue dans son monde professionnel comme je l’ai redouté. J’avance vers lui et lui tends l’enveloppe que j’ai préparée. Sans un mot.
Ses yeux sont restés dans les miens et, sans se troubler, il décachette le pli. Sur la feuille, j’ai simplement écrit :
OUI
Moi aussi je souhaite me pacser avec toi.
Et j’ai signé : Toni.
Il lit, relève les yeux, relit encore … Il hoche la tête et une infime contraction fugitive éclaire un bref instant son visage qui, aussitôt après, retrouve son apparence sereine.
- « Entendu ! »
Il n’est pas nécessaire d’ajouter la moindre parole à nos regards. Il replie la feuille, la recouvre de sa main et nous nous séparons sur un échange muet.
Dans la rue, je marche d’un pas léger pour rejoindre la fac. Mon portable vibre, Adrien aurait-il quelque chose à ...non, c’est ma mère qui appelle.
Amical72
amical072@gmail.com
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