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7 | Jingle bells – Le récit de Julien
En cette année 2009, Noël tombe un vendredi.
Je déteste Noël !
Noël, ce moment où on est sommé d'aimer les autres, tous les autres.
Noël est, pour moi, le triomphe de la norme "papa, maman et les enfants". Papa est fier, maman est attendrie et les enfants sont rois ; ils rayonnent.
Le triomphe du commerce également.
Aux enfants, je n'offre que des livres. Des albums qui réjouissent les parents des tout petits, qui allument des étincelles dans les yeux des petits pour qui je me fais alors, et avec joie, raconteur d'histoire ; plus tard, des romans qui me valent un bisou convenu de la plupart des plus grands qui ont d'autres attentes, moins modestes mais, surtout, plus modernes. Je n'ai rien à battre de ces exigences ; moi je transmets les aventures qui ont fait rêver l'enfant que j'étais, puis nourri l'adolescent et, depuis, ne cessent d'enrichir ma vie d'adulte.
- "Comme d'habitude !" a dit un de mes neveux narquois avant de m'embrasser négligemment, puis de se tourner vers ce qui répond davantage à ses voeux.
Dans cette parade célébrant l'hétéronormalité radieuse sans laisser la moindre place à une alternative, je me sens planté, là, comme un piquet en bois dur au bord du chemin, raide, pétrifié, comme sans bras ni jambes. Il y a toujours quelqu'un, attentif, pour me lancer un "et toi, Julien ?" empli de commisération.
Selon l'interlocuteur et mon humeur, je hausse simplement une épaule désinvolte ou je me risque à y ajouter :
- "Moi? Je crains de n'avoir pas opté pour le bon mode d'emploi, alors ..."
"Tant qu'il y aura des gens pour nous regarder avec une compassion excessive, nous resterons en marge" et je ne veux pas de leur pitié.
Je fuis cette sanctification de la reproduction sexuée qui ne transmet que des gènes, pas tous glorieux d'ailleurs, limités par les milieux qui les contraignent. Aussi je fais en sorte de n'arriver que tardivement à la fête pour me glisser subrepticement parmi la famille réunie pour le sacro-saint déjeuner, je distribue discrètement mes humbles présents mais, plus tard, je m'affirme en contribuant à régaler l'assemblée avec quelques beaux flacons et des fromages affinés dont les effluves tordent certains nez trop délicats.
Pédé assurément, en marge aussi, mais pas effacé pour autant.
C'est quand j'ai rencontré Lecourt, celui qui a bouleversé ma vie, que j'ai rompu avec l'hypocrisie, l'ambiguité et l'effacement. Je suis devenu moi-même et, donc, l'Autre, celui qui est libre, l'exprime sans entraves et, pire, celui qui, narquois, moque ceux dont la pensée refuse la différence, l'altérité. Face à ceux qui insistent trop lourdement, je fais front avec un air voyou et assuré qui ne leur laisse aucun doute sur ma détermination à ne rien céder face à leur persifflage.
À ceux qui me glissent un "toujours seul!" trop lourdement attristé, je renvoie un large sourire en claironnant "ne t'inquiète pas pour moi, tout va bien!" Avec un air de contentement qui évoque imparablement une activité "affective" outrepassant largement la leur.
Tonitruant.
Quand à ceux qui me prennent dans leur bras avec une réelle bienveillance, se préoccupant d'un isolement qui, pense-t-on, est contraire à la nature de l'homme / animal social, je les rassure à demi mot. Je suis un solitaire mais je ne suis pas isolé.
Mes récentes aventures le montreraient assez évidemment, si jamais me venait l'envie de les divulguer.
Putain, c'est la fête du slip, en ce moment. Christophe, Cédric, Thomas pour ne parler que des derniers ont été ... des cyclones, de vraies parties de fous. Vertigineuses ! Asphyxiantes ! Pff, Heureusement qu'en cette saison, je ne croule pas sous le travail car ils m'ont proprement épuisé ! Enfin ... Un échange très chaud, une bien belle et bonne fatigue et de jolies rencontres même si je dois me résoudre à ce qu'elles soient sans lendemain, que la page à peine écrite se referme aussitôt.
Puis Jérôme est venu s'installer aux Chênaies.
"Tous les jours de la semaine / sont vides et sonnent le creux / mais y a pire que la semaine / y a le dimanche prétentieux / qui veut paraître rose / et jouer les généreux / le dimanche qui s’impose / comme un jour bienheureux / Je hais les dimanches. »
Amical72
amical072@gmail.com
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